LA GLOIRE DE L'EDÁNKAN
 
   
               

Aperçu du Tome 3

Bandit

Ce chapitre ne sera pas présent dans le tome 3
mais délivre le récit d'une scène qui s'y déroulera

 

 

Qu’est-ce que vous croyez ? Que j’aurais pu savoir au premier regard jusqu’où il me conduirait ? Bien sûr que non ! La première fois que je l’ai vu, il ne ressemblait à rien qui soit digne d’intérêt. Un jeune homme banal, au crâne rasé et à la barbe de deux jours. Oh, j’aurais bien dû trouver cela étrange qu’il arrive seul, sans monture et sans arme, sur ce chemin où nous guettions les imprudents. Mais voilà, les imprudents, j’en vois tous les jours ou presque. Alors celui-là, il tenait le gros lot, mais pas de quoi éveiller l’attention.
Et puis il ne payait pas de mine. On ne pouvait même pas dire à son aspect s’il avait sur lui de l’or ou des bijoux ! Il n’avait aucun bagage. En fait, c’est ça qu’on aurait dû trouver étrange. Pas un sac, pas même une gourde ! Et aucun biens précieux à première vue. Mais ça, on ne s’y fie pas toujours. On ne connait jamais le butin avant d’attaquer. C’est comme ça notre métier !
Mais lui, vraiment, il ne m’intéressait pas. Il a débouché sur le chemin avec ses vêtements de voyage, ni coûteux, ni bons marchés. C’était une tenue comme celle des nobles, mais en étoffe moins précieuse. Rien de remarquable en somme. Il avançait tout droit sans rien surveiller. Le type manifestement sans intérêt, qu’on n’aurait même pas dû accoster, en fait.
Mais on avait eu une dispute deux jours plus tôt entre nous. Salien avait trouvé un bracelet d’homme, un truc précieux dans un argent noirci qu’on n’arrivait pas à nettoyer. En fait, le bijou lui était tombé dessus, du ciel – à ce qu’il disait. Il s’était enfoncé dans la terre avec une telle force que Salien s’était d’abord cru attaqué. Et puis il a regardé dans le trou, et il y avait ce bracelet en argent noir. Il nous a demandé combien on croyait que ça valait, et on lui a surtout demandé où il l’avait pris ! Salien ramène souvent des mauvais coups, des sales histoires avec des types plus nombreux que nous. Alors on a eu peur, et son histoire de bijou sorti de nulle part, ça nous a pas trop plu !
On s’est disputé, et puis aussi au sujet de sa valeur, parce que l’argent ne se nettoyait pas, alors on pensait qu’il faudrait le fondre. Mais le bracelet était ciselé, et pour Barad ça valait plus que son poids brut ! Moi j’avais surtout peur qu’on le reconnaisse et qu’on ait des problèmes. Les autres s’en sont mêlés, et ça c’est fini que le plus fort – c'est Burinan – a récupéré le bracelet pour empêcher qu’on le fonde, jusqu’à ce qu’on trouve un vendeur. Et Burinan l’a mis à son poignet, ce que Salien a regardé pendant deux jours d’un œil pas vraiment tranquille.
Alors quand ce jeune homme est apparu sur le chemin, il tombait à pic pour nous soulager de nos querelles ! C’était parfait, en fait. Mais moi je ne voulais pas m’en mêler. Je n’ai rien dit, j’ai juste reculé pour continuer à tailler mes flèches. Ils étaient cinq contre lui, c’était déjà trop de toute façon. Il n’y aurait pas de butin, ou trop peu, ça ferait encore des histoires, et les disputes reprendraient de plus belle.
Mais je voulais quand même voir le voyageur. Voir comment il réagirait, savoir si c’était un fou inconscient, juste un type égaré qui implorerait grâce, ou un de ces jeunes qui fuyait les siens pour trouver l’aventure. Là, garanti, il avait trouvé ! Après tout, peut-être qu’il pourrait faire un bon bandit s’il avait du cran ! Et c’est ça que je voulais voir, je crois ! Je me suis posté dans un arbre d’où je verrai le spectacle, et j’ai repris mes flèches et mon couteau.
Ils avaient l’habitude, les collègues ! Ils connaissaient la route, le moindre caillou, les moindres ronces. Ils lui sont tombés dessus sans un bruit, sans une alerte, effet de surprise total : trois devant lui, deux derrière. N’importe qui aurait sursauté, aurait cherché une issue. Lui, il n’a pas bougé. Il s’est arrêté comme s’il rencontrait d’autres voyageurs – il a juste jeté un regard derrière lui aux deux qui le menaçaient avec bâtons et couteaux. Puis Sarech – c’est un peu notre chef – s’est approché avec son épée. En fait, c’était un grand glaive volé il y a trois ans et qu’il n’a pas vendu. Mais comme il n’est pas soigneux, elle n’est ni très pointue ni très aiguisée. Mais quand même, il en impose avec ça au bout du bras !
Alors il s’est approché, en le menaçant, et ils lui ont sorti le baratin habituel, pour l’effrayer, et lui donner confiance en même temps qu’il aura la vie sauve sans dommage s’il donne tout ce qu’il a de précieux. Le but, c’est qu’il se fie à nous autant qu’il nous craigne, comme ça il ne garde rien caché, et on gagne du temps.
Mais là, encore une fois, le garçon n’a rien répondu. Il les a regardé un par un avec une sorte d’indifférence qui m’a laissé croire un instant que le type voulait juste mourir – histoire d’amour manquée ou famille compliquée, que sais-je – et que mes collègues lui offraient justement ce qu’il espérait.
« — Bonjour », qu’il leur fait, comme s’il s’adressait à n’importe qui. « — Je cherche une ville où je puisse trouver des vêtements et un cheval !
— Rien que ça ? répond Sarech. Un cheval ! Tu n'as pas dû comprendre, alors je te la refais courte : l’or pour le cheval, tu nous le laisses, avec tout ce que tu as, et tu repars vivant. Tu voyageras une autre année, quand tu auras plus de chance !
— En fait, je n’ai pas d’argent, répond le jeune homme. Je comptais m’arranger.
Alors ils ont reprit leurs menaces, pour qu’il donne tout ce qu’il a. Et Burinan s’est montré plutôt impatient. On ne fait pas le malin en général devant sa massue. Le type a semblé comprendre cette fois, il a changé d’attitude. Il est devenu plus attentif, plus sévère. Et puis il s’est mis à leur parler avec un aplomb incroyable, à leur dire qu’ils étaient mal tombés et qu’ils gagneraient à passer leur chemin et trouver d’autres proies. Burinan, il a vraiment pas aimé le ton ! Même d’où j’étais, c’était facile de voir qu’il était à cran. Il l’a menacé avec sa massue trois fois grosse comme sa tête :
— Tu dis encore un mot, et je te casse les genoux. Et si tu veux mourir, tu n’as qu’à le dire ! Mais je suis sûr qu’il a des gens à qui ça ferait de la peine.
— Je suis déjà mort ! a répondu l’autre avec un regard grave, sans se laisser impressionner le moins du monde.
Alors Salien, de derrière, lui envoie un coup de bâton dans les jambes, histoire de le mettre à terre, qu’il comprenne mieux sa situation. Le garçon tombe, et saisit le bâton en se retournant, l’air mécontent. Il lutte un peu avec Salien puis lâche parce que Burinan en a assez ! Il vient de le saisir par le col et le soulève de terre !
J’étais impressionné par le toupet du gars ! Il n’avait aucune peur, et je me demandais s’il allait survivre à la colère de mes compagnons, surtout s’il n’avait rien de précieux, comme il le disait. Barad l’a fouillé pendant que Burinan le maintennait ainsi en l’air. Mais il n’avait aucun bien sur lui, juste comme il l'avait dit !
— Il n’a rien, que dalle ! a fait Barad. C’est un vulgaire maraudeur !
— Qu’est-ce que tu fiches dans le coin !? lui hurla Sarech, en colère.
Mais encore une fois le type ne lui a pas répondu. Il venait de remarquer le bracelet que portait Burinan, et ne le lâchait plus du regard.
— Ca t’intéresse ?! lui a sorti Burinan en tordant son poignet.
Il lui a littéralement collé le bracelet sous le nez, comme pour le provoquer.
— Ce bracelet est à moi, a simplement répondu l’autre. Il va falloir que vous me le rendiez.
Ils se sont tous esclaffés de rire. Et moi aussi je souriais. Finalement ce n’était pas du cran. Ce type était tout simplement fou ! Mais pendant qu’ils riaient, il s’est passé quelque chose d’étrange. De vraiment pas normal. Le garçon a pris le poignet de Buridan tout doucement, et l’a forcé à le reposer au sol sans même que Buridan le sente. Et de l’autre main, il a récupéré le bracelet en un seul mouvement. Ils ne s’en sont rendus compte qu’au moment où il l’a fait claquer en le refermant autour de son propre poignet !
Ca les a coupés net dans leur rire ! Ils sont restés comme des idiots pendant quelques secondes, sans comprendre comment il avait pu faire.
— Hé là ! Aurait-on un voleur de talent sous nos yeux ! a sorti Barad, admiratif !
Mais Salien et Burinan ne l’ont pas du tout pris sur ce ton. Ils étaient furieux, tous les deux à leur comble, et Salien a commencé à enfoncer son bâton dans les côtes du gars et à le rouer de coup, pendant que Burinan lui saisissait le poignet en retour ! Et le type, il n’a pas aimé. J’ai vraiment vu son regard s’assombrir de là où j’étais. Et je ne sais pas ce qui s’est passé, mais l’instant d’après, ils rebondissaient tous deux sur le sol avec rudesse.
Lim était encore derrière, près de Salien. Lim c’est notre cadet, un gars perdu qui a quitté sa ferme et les siens sur un coup de tête, et qui nous a rencontré. On l’a gardé avec nous parce qu’il nous faisait pitié. Il est pas très futé, alors on pouvait lui filer toutes les tâches ingrates, il ne savait pas se révolter. Et c’est Lim qui a réagi le plus vite. Il s’est élancé pour frapper de toutes ses forces ! Il est toujours comme ça Lim ! Il réagit à l’instinct, avant de réfléchir.
Mais son bâton s’est brisé comme du bois pourri en frappant ! Et il n’est pas du genre à se tromper de bois, Lim. C’est le garçon qui a fait ça, j’en étais sûr. Sarech aussi, peut-être, avait dû comprendre, mais il était en train de perdre la face, et il n’aimait pas ça. Il cherchait sans doute un moyen honnête de laisser filer le bonhomme. Mais Burinan s’est relevé, et cette fois, il avait envie de détruire le gars. Il a dressé son immense gourdin, et Sarech a senti qu’il avait intérêt à se mettre de son côté.
Ils ont tous réagi comme lui, prêts à assassiner le garçon là où il était et à suivre Burinan dans sa colère. Et moi, je sentais que quelque chose n’allait, que le type était trop sûr de lui dans sa colère.
Et puis je n’ai pas compris ce qui s’est passé. Il y a eu un choc et de la poussière, et moi j’ai reculé de frayeur sur ma branche. J’ai aperçu les cadavres de mes compagnons, morts debout, et je suis tombé en arrière, mort de trouille ! Je n’avais jamais vu ça ! Je me suis cogné contre les branches et j’ai atterri au sol sans rien me casser.
Mais je n’avais qu’une peur, c’est que ce démon m’entende et me tue. Et je suis resté tapi là où je m’étais écrasé, à retenir mes lèvres de gémir. Je ne sais pas s’il m’avait vu, mais il avait dû m'entendre !

Pour le moment heureusement, il était un peu affolé devant ces cadavres. Il a crié vers quelqu’un que je ne voyais pas :
— C’est toi ! C’est toi qui a fait ça !?
Mais je ne suis même pas sûr qu’il parlait vraiment à quelqu’un. Et puis il est resté longtemps à regarder son bracelet avec colère. Il a commencé à s’en défaire, mais à ce moment, il a regardé dans ma direction. Un long regard, étrange. Je suis resté immobile sans respirer, espérant que je me trompais. Et puis d’un seul coup il a remis son bracelet et s’est enfui.

Vous vous demandez pourquoi je l’ai suivi ? Oui, je me pose parfois la question. La vérité n’est pas très simple. D’abord, ce type venait de tuer tout ce qui faisait ma famille. Et j’avais envie de me venger. Mais d’un autre côté, je ne m’étais jamais vraiment attaché à mes compagnons. Nous vivions de larcins pas brillants, on survivait en réalité, dans un coin de la forêt. Personne ne voulait rester longtemps dans ce genre de vie. Et ce garçon m’offrait soudain des opportunités. Si je pouvais le fréquenter, m’en faire un allié, alors je deviendrais invincible. L’invincible Sarkion !
Et puis, il y avait ce regard qu’il m’a lancé. Le regard d’un type qui se condamne à être seul. Il venait de me condamner moi aussi à la solitude, alors j’ai pensé qu’on pourrait, peut-être, s’entendre. Et puis enfin, je voyais bien qu’il ne survivrait pas longtemps tout seul, sans un sou. J’ai peut-être eu pitié de lui.
C’est pour toutes ces raisons que je l’ai suivi. Je me suis lancé après lui, à bonne distance ! Vous comprenez, je ne voulais pas qu’il me voit après ce qui venait de se passer. Et il n’était pas difficile à suivre. Je pouvais le suivre à une demi-heure derrière lui !
Les premiers jours, ça se passait comme ça. Mais rapidement il m’a décelé et m’a attendu. Il m’a pris par surprise, ce qui m’a étonné de la part d’un petit bourgeois qui ne connaît rien de la forêt. En l’entendant surgir derrière moi, j’ai cru que j’allais mourir. J’étais pétrifié. Mais il m’a juste parlé, comme un maître à son esclave. Il m’a ordonné de disparaître, de le laisser.
Je lui ai dit que je savais où trouver des vêtements et un cheval. Alors il a accepté de me suivre, mais il ne voulait pas de ma compagnie. Il fallait que je marche loin devant. Je l’ai amené au hameau de Gravier. J’ai dérobé une chemise dans une maison, un pantalon dans une autre, et je lui ai refait un vêtement à sa taille, plus convenable pour le voyage. Il a été étonné du cadeau, et m’a promis de me le payer quand il aurait de l’argent. J’ai dû lui expliquer, lui raconter que c’était volé, et qu’un type comme lui ne devrait être arrêté par aucune question d’argent. Que s’il avait besoin de quelque chose, il n’avait qu’à se servir !
C’est marrant mais l’idée ne lui avait jamais traversé l’esprit. Il n’a pas su quoi me répondre. Je sentais que je jouais une bonne carte. Il fallait appuyer le coup. Pour le cheval, c’était une autre paire de manche. Ca ne se vole pas comme ça ! Alors je l’ai mis à l’épreuve. Je l’ai encouragé à aller se servir. Il en avait besoin. Ce n’était pas un manque passager d’argent qui allait l’empêcher de finir son voyage ! Et il a plongé, directement dans le panneau ! Il a pris un cheval, avec la selle et tout, et je n’ai eu qu’à l’imiter dans l’ombre.
Au final, on est parti tous les deux sans que personne ne puisse nous arrêter. Mais aussitôt à distance, il m’a congédié à nouveau. Il n’était pas très content de ce qu’il venait de faire et ne me voulait pas dans les parages ! J’avais joué un peu fort pour une première fois ! Je me suis éclipsé, mais en fait j’ai continué à le suivre. Plus discrètement cette fois. Je n’étais pas sûr qu’il me laisse survivre à plus de cinquante pas s’il me trouvait encore dans son dos ! Alors je redoublais de prudence. Je me nourrissais de cueillette en journée, et le soir d’un peu de chasse.
Lui, je ne sais pas.
Et puis il a été rattrapé par des chasseurs de prime, ou peut-être une patrouille officielle. Je n’ai pas su. Ils voulaient rapporter sa tête à leur maître. Je me suis glissé jusqu’à eux pour lui venir en aide, mais lui venait de les immobiliser par je ne sais trop quel moyen. Et il s’en allait en les laissant là. Mais ils commençaient à armer leurs arcs. Alors je suis intervenu. J’en ai tué un, et j’ai menacé les autres. Alors il est revenu, et ils ont décoché leurs flèches. Je ne sais pas s’il a été touché, mais aucune ne l’a blessé. Et eux ont pu se dépêtrer des liens qui les retenaient. Là, ça a commencé à sentir le roussi ! Ils étaient cinq, nous deux. Et lui m’ordonnait de m’en aller. En fait, ils nous ordonnaient à tous de nous en aller. Il ne voyait pas le danger !
Quelques nouvelles flèches ont jailli, et l’ont blessé cette fois : il est tombé de cheval. La bête aussi a été blessée à mort – les imbéciles !! Alors ils se sont rués sur lui. J’en ai égorgé un autre, et j’ai encouragé mon prodige à se défendre pour de bon, pas seulement à les immobiliser. Mais ses blessures l’avaient mis dans une colère noire ! Je n’avais même plus besoin de l’encourager. Il s’est redressé avec le même regard que contre mes compagnons quelques jours plus tôt. Et j’ai vu passer l’ombre d’un dragon.
Les quatre survivants ont été pulvérisés. Déchirés sans même qu’une goutte de sang ne touche le sol ! J’ai vraiment eu peur d’y passer à mon tour, j’ai cru que sa colère continuerait contre moi. Mais il s’est apaisé aussitôt, de la même manière que plus tôt. Et il a maudit son pouvoir en pleurant les hommes qu’il venait de faire disparaître. Je ne suis pas intervenu, j’étais trop effrayé, mais c’était exactement le type qu’il me fallait !
Je me suis éclipsé discrètement, et quand il a repris sa route, j’ai continué à le suivre. Il savait à coup sûr que j’étais là, et il ne m’a pas menacé cette fois. J’ai senti que j’y arrivais, que bientôt nous aurions ensemble la vie que nous méritions. Je ne savais pas où il allait, mais je sentais qu’il fatiguait. Il fallait qu’il dorme dans un vrai lit. Et je me frottais les mains d’avance !
Jusqu’à ce que ça arrive !...
Il avait vu clair dans mon jeu et s’était débarrassé de moi en me conduisant dans une fausse direction. J’allais à rebours de sa route, sans même m’en rendre compte, et je devais avoir deux ou trois jours de distance avec lui. C’est sans doute ce qui m’a sauvé la vie !
Mais là, ça dépassait ce qu'aucun homme ne pouvait faire, pas même dans les légendes ! Et pourtant, c'est là que tout a commencé...


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